Remboursement des perruques : à s’arracher les cheveux !
Doubler le remboursement des perruques est un engagement du Plan Cancer 3 (février 2014). Quatre ans plus tard, rien n’a bougé en apparence. Où en est le dossier ? Echoué, en attente de traitement, dans un bureau du Ministère de la Santé. Enquête.
Cet article a été rédigé il y a plus d’un an. Il peut contenir des informations ayant été amenées à évoluer.
C’était l’une des préconisations du Plan Cancer 3 : « Action 9.11 : Accroître la prise en charge des prothèses externes (capillaires et mammaires). Les tarifs des prothèses capillaires sont majoritairement supérieurs au montant du remboursement par l’Assurance maladie obligatoire. Il est nécessaire de revaloriser le tarif de remboursement afin de réduire le reste à charge pour les personnes atteintes de cancer. (…) Doubler le tarif de remboursement par l’Assurance maladie obligatoire des prothèses capillaires ».
Rappelons que le « Plan Cancer » est un engagement de l’Etat. Ce troisième plan quinquennal a été lancé en février 2014. Il y a plus de 4 ans. Depuis, le remboursement des prothèses capillaires pour les malades de cancer n’a pas bougé d’un centime. Il reste à 125 €. Un tarif arrêté il y a 12 ans. Et jamais revalorisé depuis alors qu’une perruque coûte en moyenne 400 €.
Un important « reste-à-charge » pour les patientes
Si 125 € ce n’est pas rien (nos voisines espagnoles ne reçoivent aucune aide pour l’achat de leur prothèse capillaire. En revanche, les belges obtiennent un remboursement de 180 € et les luxembourgeoises de 250 €), cela reste très en dessous du « prix du marché ». « Dans ma boutique, les prix varient de 125 à 630 € pour une perruque synthétique et de 1000 à 2400 € pour une perruque en cheveux naturels » nous explique Mylène Hautteville de l’Atelier des Turbans à Paris. Pour 125 €, vous aurez donc une perruque de qualité mais d’entrée de gamme. Si votre cuir chevelu est sensible (ce qui est souvent le cas pendant une chimiothérapie) ou que vous souhaitez une chevelure plus longue, il faudra mettre la main au porte-monnaie.
Dans son Observatoire Sociétal des Cancers, La Ligue contre le cancer indique que « l’achat de prothèse recouvrait en 2012 plus de la moitié des demandes d’aides financières liées à la maladie. » Le montant moyen de l’aide accordée s’élevait alors à 240 €.
Le problème est bien analysé, repéré. Les pouvoirs publics sont prêts à « doubler » l’assiette de remboursement. Pourquoi donc un dossier sur lequel tout le monde semblait (pour une fois) d’accord, pouvoirs publics, associations de patients, usagers, serait-il donc enterré ? Nous avons donc traqué le dossier remboursement prothèse capillaire dans les entrelacs des agences publiques.
Première étape : la Haute Autorité de Santé
Dans le parcours très encadré des remboursements des produits ou dispositifs de santé en France, c’est la HAS (Haute Autorité de Santé) qui ouvre le bal. Dans ce cas précis, l’agence a fait diligence car dès mars 2015, la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS) rend un avis positif et recommande de modifier les conditions d’inscription (donc de remboursement) des perruques. Dans un communiqué datant de mars 2016, elle va même plus loin et : « préconise le remboursement des accessoires : 1 en complément d’une prothèse et 3 pour les personnes ne souhaitant pas porter de prothèse. Si le remboursement passe de 125 à 250 €, les femmes pourraient non seulement avoir une belle perruque mais aussi deux turbans et deux franges par exemple. » Bref Champagne pour tous.
Deuxième étape : le vortex administratif
Depuis l’avis de la HAS plus rien. Soit plus de deux ans sans que le dossier de l’augmentation du remboursement des perruques avance d’un iota. Qu’est ce qui « coince » ? L’INCa (Institut National du cancer) a été le premier à tirer la sonnette d’alarme sur ce retard préjudiciable au malade dans le 4ème rapport du Plan cancer 3, remis au président de la République en février dernier.
La négociation tarifaire était initialement prévue pour août 2015 ! Quant à la HAS, que nous avons interrogée, elle botte en touche : « le dossier est actuellement entre les mains du Comité économique des produits de santé (CEPS). » Sans nous décourager, nous traquons donc le dossier « perruque » du côté du Ministère de la Santé.
Le dossier « rangé dans un tiroir » du CEPS
Le Comité économique des produits de santé est chargé par le ministère, après avis de la HAS, de négocier avec les parties prenantes (souvent les laboratoires ou les fabricants) le prix des médicaments ou des dispositifs de santé. Nous nous sommes donc rapprochées de son vice-président Mr André Tanti. Qui n’est pas adepte de la langue de bois. « Vous voulez savoir où en est le dossier sur le remboursement des perruques ? Rangé dans un tiroir, en attente de quelqu’un qui puisse le traiter ». (Lire l’interview complète du vice-président du CEPS).
Le problème ? Un « simple » manque d’effectif
Le problème ? Un « simple » manque d’effectif. Manque d’effectif chronique car la Cour des Comptes dans un rapport de septembre 2017, alertait sur le sous-effectif d’une agence à la fois essentielle et stratégique qui « tournait » avec 13 personnes. En fait, selon son vice-président, la réalité est bien pire. Le CEPS ne dispose en réalité que de 4 temps plein « et demi » pour traiter plus de 300 dossiers par an (dont certains très lourds comme la négociation du prix des médicaments innovants).
Faire le plus de bruit possible !
Dans ces conditions le dossier « perruque » est simplement « en attente ». C’est d’autant plus absurde, comme le note André Tanti, que « pour une fois, on a l’argent. Le CEPS pourrait rembourser jusqu’à 300 euros par perruque pour les malades de cancer [soit plus que le doublement promis par le plan cancer, NDLR]. Mais je n’ai très prosaïquement personne dans les effectifs pour s’en occuper, négocier avec les fabricants, statuer entre les différents intérêts des patients en traitement de chimiothérapies et ceux qui ont des alopécies définitives ».
Alors comment débloquer le dossier ? Sans doute en faisant, nous, association de patientes, le plus de bruit possible. Assez de bruit pour remonter jusqu’aux autorités de tutelles du CEPS (les Ministères de la Santé et de l’Economie). Et faire resurgir ce dossier « perruque » dans l’ordre des priorités.